Le soir venu, après le dîner, le Père hôtelier s’avança vers les deux hommes et demanda à Amalric : “Accepterez-vous de distraire à nouveau vos compagnons de route ?— Non, mon Père. Cette fois, c’est mon jeune ami qui s’en chargera ! Jehan, à toi de jouer !”Le jeune homme se leva en souriant, car il n’était pas dupe de l’intention réelle du moine : les deux clercs de la veille avaient déjà pris place, leur écritoire sur les genoux. Il prit le luth qui était désormais le sien, s’avança devant l’assemblée et entonna le Couronnement de Louis.C’était le moment qu’attendait Sevestre. Après le déjeuner, il avait observé l’attitude des deux hommes pendant qu’ils conversaient et en avait conclu qu’une forte affection les liait. Quel meilleur moyen, alors, pour blesser le vieux, que de s’en prendre au jeune ?***En ce printemps 1115, le ménestrel Amalric arpente le duché d’Aquitaine en compagnie de son apprenti Jehan, un moinillon défroqué. Parvenu à Poitiers, il retient l’intérêt du puissant seigneur et troubadour, Guillaume IX, qui lui confie une mission inattendue : aller vers le sud afin de rassembler les chansons de geste du légendaire Guillaume au cort nez.Sur le parcours du jongleur et de son disciple, les rencontres se succèdent : seigneurs plus ou moins accommodants, brigands, collègues, croisent la route qui les mène de moutiers en abbayes.Amalric mènera-t-il sa quête à bien et comprendra-t-il enfin pourquoi des moines recopient les épopées qu’il chante ? Jehan verra-t-il récompensé l’amour qu’il porte à la belle Maud ?Oëz, seignor, que Dex vos beneïe,Li glorïeus, li filz sainte Marie,Bonne chançon que ge vos vorrai dire !“ Écoutez, seigneurs – qu’ainsi Dieu vous bénisse,Le généreux fils de sainte Marie –,Une bonne chanson que je voudrais vous dire ! ” La Prise d’Orange, laisse I, vers 1-3.
