Après avoir vécu la mobilisation à Rouen et la débâcle jusqu’au Chambon-sur-Lignon, Francis Ponge se réfugie en 1942 à Roanne, avec sa femme et sa fille. Mal payé dans la compagnie d’assurances qui l’emploie, il accepte la proposition du Progrès de Lyon de tenir une chronique régulière sous forme de « billets » quotidiens d’une trentaine de lignes sur l’actualité locale. Du 11 février au 6 mai 1942, ce sont ainsi cinquante-trois courts textes sur la vie quotidienne à Roanne qui seront écrits et publiés par le quotidien lyonnais. Ils concernent la vie de la ville, la crise du logement, le ravitaillement et le rationnement, le manque de charbon et de gaz, l’impossible circulation, le délabrement des rues. On y retrouve toute l’attention portée au quotidien, aux petites « choses », un certain prosaïsme délié qui évoque clairement le Parti pris des choses, publié par la NRF la même année. Mais assortis d’une pratique de l’allusion, de l’ambivalence, du double sens, toutes qualités précieuses dans le contexte de l’Occupation. On y distingue aussi un humour pétillant et de remarques piquantes par lesquelles on devine comme en transparence à la fois l’esprit ailé du poète et la précision de l’homme de langue. On ne peut qu’imaginer, mais on l’imagine bien, ces « Billets » tout juste écrits, encre à peine séchée, jetés chaque matin à la volée au passage du bus postal qui assure la liaison Roanne - Lyon, se rajoutant aux volumineux « sacs » de courrier. Dès lors, des « billets hors sac »… Les Billets hors sac constituent certes un témoignage sur un certain quotidien au temps de la Seconde Guerre, mais leur singularité est de naître à travers le regard et la langue d’un des plus grands poètes du XXème siècle. Cette conjonction fait de ce court texte une œuvre absolument unique.* “Roanne, cité rurale ? On peut bien le dire maintenant qu’elle a été résolue, et résolue selon le voeu de tous, aucun Roannais qui n’ait débattu de cette question, en particulier, voire en public, durant ces dernières semaines. Malgré la consideration accrue dont s’entoure, depuis le mot d’ordre supérieur du “retour à la terre” , tout ce qui est rural, des motifs impérieux poussaient chacun de nous à se dire urbain, très urbain, et, si j’osais un jeu de mots — intraduisible dans toute autre ville — à se faire l’avocat de l’urbain… Souhaitons que le problème soit considéré comme définitivement tranché. Souhaitons qu’il perde bientôt, et définitivement, de son importance… Que le désir d’une permission agricole ne vienne pas un jour nous inciter à nous dédire, ou le besoin d’une ration supplémentaire à nous répéter.”F.P.