Crimes contre l'humanité à l'Esma - Anatomie d'un centre de détention clandestin en Argentine, 1976-1983

L'Esma fut le plus grand centre de détention, torture et disparition forcée des opposants à la dictature en Argentine de 1976 à 1983. Pour comprendre et expliquer cliniquement l'" inimaginable ", des chercheurs argentins de renom font l'archéologie de ce lieu emblématique de la répression, et de ce que sont des crimes contre l'humanité. Ancienne école de la marine à Buenos Aires, l'Esma fut tout au long de la dictature militaire (1976-1983) le plus grand centre clandestin de séquestration, de torture et de disparitions forcées en Argentine. Il est en cela un symbole des plus terrifiants de la dictature. Parmi les 5 000 personnes détenues seules 300 environ en sont rescapées. Situé au centre de Buenos Aires, et faisant partie du réseau des 600 centres clandestins du pays, le bâtiment est aujourd'hui inscrit au patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO et transformé en musée et mémorial. Aux côtés des organisations de défense des droits humains, les chercheurs considèrent cette " expérience " comme un des crimes les plus graves de disparition forcée de toute l'histoire (disparition par assassinats et disparition des corps eux-mêmes à travers les " vols de la mort "). Sous la direction de Marina Franco et Claudia Feld, quatre chercheurs et chercheuses produisent un récit et une analyse du fonctionnement de l'Esma. Les sources reposent sur les archives et témoignages de rescapés, les archives judiciaires, les rapports d'organisations de protection des droits humains. Le livre se découpe en sept chapitres consacrés aux " activités " du centre (torture, assassinats et disparitions, viols et pouponnières, organisation économique, travail forcé et destruction des preuves...) pour montrer les ressorts, la " méthode " et le caractère totalisant de cette expérience d'anéantissement politique et économique. Depuis l'accession au pouvoir de Javier Milei, le site de l'Esma et ses activités sont par ailleurs régulièrement attaqués et menacés par les pouvoirs publics révisionnistes. La mémoire des crimes qui y ont été commis est donc à ce titre un enjeu contemporain de premier plan. L'actualité des Mères de la Place de Mai, le succès du roman L'appel de Leila Guerriero et tous ceux qui travaillent à établir les preuves de crimes contre l'humanité en témoignent. Formidable outil de vulgarisation qui fait d'ores et déjà référence dans plusieurs pays, ce livre est le fruit d'un travail multidisciplinaire qui contribue aussi à une meilleure connaissance des crimes contre l'humanité (et fera écho aux questionnements contemporains, notamment sur des sites emblématiques comme Sednaya en Syrie, Evin en Iran ou la prison de Sde Teiman dans le Néguev).