Durant la guerre civile espagnole, près de 15 000 enfants sont évacués de la zone républicaine en France. C'est à ce phénomène méconnu que s'intéresse cet ouvrage, étudiant l'évacuation de ces enfants comme le résultat d'une mobilisation et en la resituant dans l'histoire des engagements face à la guerre d'Espagne, comme celle des mouvements sociaux. Au cours de la guerre civile qui ensanglante l'Espagne de 1936 à 1939, près de 15 000 enfants sont évacués de la zone républicaine en France. Filles et garçons de 5 à 15 ans environ, ils sont généralement inscrits par leurs parents pour ce départ, parfois des mois à l'avance. Une fois en France, ils sont placés dans des familles d'accueil volontaires ou dans des maisons d'enfants, des " colonies " créées exprès pour eux. Leur trajectoire est donc très différente de celle des nombreux réfugiés de guerre qui foulent le sol français à la même époque : leur déplacement de l'autre côté des Pyrénées et leur vie en France sont prévus à l'avance, pris en charge financièrement – en un mot, organisés au nom d'un impératif : sauver les enfants. Cependant, loin d'être centralisée, cette opération humanitaire engage une constellation d'acteurs dont la liste ressemble, à première vue, à un inventaire à la Prévert – de la CGT à l'évêché de Dax en passant par des enseignantes de lycée, alliées à de grandes bourgeoises féministes. Cet engouement autour de la cause des enfants espagnols évacués en France est le point de départ de ce livre. Pourquoi des acteurs si différents les uns des autres s'intéressent-ils à l'évacuation d'enfants espagnols en France pendant la guerre d'Espagne ? Comment entendent-ils cette action et comment se situent-ils eux-mêmes par rapport aux grandes questions idéologiques et géopolitiques soulevées par la guerre d'Espagne – celles de la guerre et de la paix, du fascisme et de la démocratie ? Quel sens l'aide à l'enfance revêt-elle pour eux et pourquoi choisissent-ils cette cause particulière ? Avec quels moyens réussissent-ils à faire advenir leurs projets – et y parviennent-il toujours, d'ailleurs ? Enfin, quelles sont les relations entre ces différents groupes qui ne se retrouvent pas mobilisées d'ordinaire autour d'une même cause ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées dans cet ouvrage. L'argument central est que l'aide à l'enfance constitue une " cause refuge " pour de nombreux acteurs qui veulent s'engager face à la grande cause de leur époque, mais qui sont mis en difficulté par les dilemmes politiques posés par la guerre d'Espagne, en particulier par la politique de non-intervention, faite au nom de la sauvegarde de la paix, mais qui entrave la défense de la République espagnole face aux franquistes soutenus par l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie. La cause de l'enfance offre une voie pour agir, tout en esquivant cette question qui fâche. Certes, cette action n'est pas complètement neutre. Ce ne sont pas des enfants des deux camps qui sont reçus en France, mais seulement ceux qui sont originaires de l'Espagne républicaine. Mais la dimension humanitaire de l'aide à l'enfance, sur laquelle tous les acteurs impliqués insistent, leur permet de la dépolitiser dans une large mesure en la situant, comme ils le clament tous, " au-dessus des partis ", et surtout en dehors des questions géopolitiques et idéologiques posées à l'Europe par la guerre d'Espagne. Tout l'intérêt de l'aide à l'enfance est d'autoriser à jouer sur les ambivalences d'une cause qui n'est pas vraiment politique sans être tout à fait neutre. L'ouvrage analyse la mobilisation des différents acteurs engagés successivement autour de cette cause, de part et d'autre des Pyrénées : les communistes français, la CGT, le ministère de la Santé et de l'Assistance sociale puis le ministère de l'Instruction publique espagnols, les catholiques français et, enfin, le Vatican, avant de se conclure sur leur démobilisation et la disparition de cette cause dans les affres de l'année 1939.
