« Le père Chenu nous a quittés le 11 février 1990. Il avait fêté ses 95 ans au mois de janvier. On pourrait déjà faire un très beau recueil des articles et témoignages suscités par la disparition de ce grand dominicain qui a dominé la scène catholique française durant près de 70 ans. Ce temps viendra. Mais il était urgent de commencer par rendre public un volume d'hommages préparé pour fêter ses cinquante années de vie religieuse. En accord avec l'intéressé dans son intérêt même, les supérieurs dominicains d'alors avaient estimé plus sage de ne pas diffuser dans l'immédiat ces libres témoignages d'affectueuse reconnaissance pour l'étonnante présence du père Chenu dans l'Église, dans son ordre et dans son siècle. Certes, à relire ces textes vingt ans après, les raisons d'une telle prudence nous sont moins évidentes... Mais il faut se replacer dans le contexte des années 64-65. On était encore en plein Concile. Le père Chenu participait aux travaux de Vatican II, mais il était entré par la petite porte comme théologien d'un évêque de Madagascar. Il n'avait pas été pleinement réhabilité comme ces experts officiels du Concile qu'étaient devenus Yves Congar et Karl Rahner. Même s'il était très actif au sein de nombreux groupes, même s'il avait été en 1962 l'initiateur et le premier réducteur du Message au monde du Concile, il demeurait encore suspect aux yeux de beaucoup. On a finalement retenu le nom d'Hommage différé" pour cet hommage déjà vieux de vingt ans. Mais à bien y réfléchir, il n'est pas plus différé que l'hommage solennel que constituèrent les obsèques du père Chenu dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris sous la présidence du cardinal archevêque de Paris, en présence du maître général de l'ordre, de plusieurs évêques et de représentants de l'université de Paris. La foule immense de ses amis qui se pressaient dans la nef, celle-là même où ont prié saint Albert, saint Thomas et Maître Eckhart, pour rendre un dernier hommage au père Chenu, avaient le sentiment intime que l'heure de sa réhabilitation pleine et entière avait enfin sonné. La lecture du télégramme très chaleureux parvenu du Vatican ne faisait que le confirmer. À vingt ans de distance, ce recueil d'hommages demeure d'une brûlante actualité. En même temps qu'il témoigne des multiples visages du père Chenu, il reflète l'infinie diversité du peuple chrétien qu'il s'agisse des frères dominicains, des syndicalistes chrétiens, des chefs d'entreprise, des universitaires, des grands inspirateurs des mouvements missionnaires du XXème siècle, des Pères du Concile. À partir de témoignages très concrets, il nous aide à mieux comprendre comment le "mythe Chenu" est né peu à peu au fil des ans, tant au sein de sa famille religieuse que de l'Église universelle. »"
