L’urbanité et les savoirs à l’œuvre dans la fabrication des villes sont entrés en crise. Ces savoirs agissants — les comportements, les systèmes relationnels, les éléments cardinaux réglant la vie civile, les dispositions physiques des ensembles urbains, et tout ce qui concourt à imprégner d’urbanité et de beauté la vie privée et collective — auraient pu constituer la base d’une réflexion théorique et pratique sur la ville, et, plus généralement, sur la vie associée et la politique, en fournissant des instruments d’orientation à la société humaine soumise au changement de ses conditions historiques. Mais ce travail ne s’est pas fait, de sorte que l’héritage des villes ne suffit pas à servir de guide dans cette mutation générale. Les vestiges des villes historiques résistent, du moins en partie?: mais la plupart d’entre eux restent muets, ou relégués dans une situation qui les rend incapables de féconder l’avenir.Les villes sont donc exposées à un double front?: celui, dévastateur, des guerres, et celui, insidieux, de la rente immobilière, qui, par son action sélective, appauvrit peu à peu le potentiel le plus précieux des contextes urbains, qui tient à leur nature de réalités socialement complexes et de laboratoires des règles et des possibilités de la vie en commun.Ville et nature sont deux dons également menacés. Mais alors qu’on a vu s’accroître ces dernières années la conscience de l’importance de la crise climatique et des actions à mener pour la défense de la terre, la question de la défense des villes — posée avec lucidité par Giorgio La Pira dès 1954 — est totalement négligée. La dimension esthétique témoigne elle aussi de cette absence?: dans un contexte obsédé par la recherche d’un « accomplissement individuel », la beauté civile s’est dissoute avec l’appauvrissement des cadres relationnels.La réponse ne peut consister qu’à remettre la réalité urbaine au centre : il faut redonner aux villes le sens de l’urbanité, de l’inclusion, et d’une beauté qui interprète et manifeste la fécondité de la vie commune. Terre et ville, qui s’unissaient — et dont Cattaneo avait admirablement décrit les rapports il y a près de deux siècles —, deviennent équivalemment le lieu de la rente et de l’appauvrissement de l’expérience sensible — et de l’appauvrissement tout court d’une majorité de la population. Sans la responsabilité qu’exige la vie commune, il est vain de prétendre remédier aux excès d’un rapport au monde dévoyé.