Les récits s’enchâssent parfois de façon singulière, ceux de Mehdi Boucher particulièrement. Trois tentatives de narration entreprises à des moments et dans des genres distincts (fiction, récit de voyage, BD) s’ajustent ici avec une grâce hypnotique comme si elles avaient attendu des années ce rendez-vous du livre.La première, une fiction intitulée Des massacres, conte une expédition à travers le monde dans un dirigeable avec un équipage improbable, entre Jules Vernes, les pieds nickelés et le radeau de la Méduse. La deuxième est un récit de voyages effectués par l’auteur en Chine, au Vietnam et en Amérique du Sud. Au Vietnam, dans les années 1990, Mehdi Boucher part sur les traces de la guerre, celles du bourbier américain des années 1970. Au Chili, il traque l’héritage de Pinochet. Et dans d’autres pays d’Amérique du Sud sillonnés au contact des autochtones, on médite avec lui la phrase de Montesquieu : « Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres. » Bref, un récit de voyages superbement écrit, gravé à la pierre noire, qui fait écho à la fiction. Troisième voix narrative, le dessin (avec le bic, Mehdi Boucher aime aussi raconter le monde en images). Imaginaire d’Hergé, détournement des figurations du réalisme-socialiste, poésie noire ou douce, On voulait raconter la grande aventure déploie des images faussement réalistes qui évoquent celles de Gustave Doré ou de Frédéric Pajak.Le puzzle des trois voix imbriquées, ironiques et sensibles, raconte notre monde incertain, où la frontière entre réel et fiction, brouillée, féconde une beauté certaine.
