Du pouvoir de la finance à la souveraineté des peuples
Résumé et présentation Dans nos sociétés contemporaines, les questions monéÂtaires, spécialement celles relatives à la détermination de la nature de la monnaie, sont probablement parmi les plus difficiles à aborder. Elles posent des problèmes si nomÂbreux et profonds aux économistes, que ce soit dans la théorie ou en pratique, qu’il n’est pas exagéré de soutenir que les sciences économiques ne sont pas vraiment parvenues à fournir une interprétation unificatrice de ce qu’est la monnaie, ni même des définitions tout à fait satisfaiÂsantes. Cela est fâcheux pour une discipline qui prétend être la science de la quantification des richesses et de leurs allocations – et qui ne saisit d’ailleurs que les seuls échanges ayant une expression monétaire, c’est-à-dire donnant lieu à des transactions d’argent. Au-delà d’un acÂcord de façade, plus ou moins artificiel et ambigu, au sujet des fonctions de la monnaie, les divers courants de pensée économique, et en leur sein les auteurs, s’opposent sur le sens précis qui lui est donné. Aussi, et sans doute bien plus qu’en d’autres domaines, la thématique de la monÂnaie inspire-t-elle quelquefois des idées extravagantes, qui rivalisent d’inconséquence et d’irresponsabilité. Une part de l’explication de cet état de fait tient à ce que la monnaie est emplie de paradoxes. Elle enferme les individus dans une hiérarchie d’inégalités et les attachent à de sordides intérêts, mais peut libérer maintes initiatives et énergies. Elle n’est visiblement disponible qu’en quantiÂté comptée, mais semble pouvoir être créée de manière illimitée – par les Banques centrales –, et qui plus est ex niÂhilo. Elle entretient d’étroites relations avec la dette, au point qu’une confusion risque de s’insinuer entre monnaie étatique et monnaie de crédit, la première étant utilisée communément par le grand public, la seconde mise en cirÂculation par des établissements bancaires et financiers presque partout privés. De surcroît, elle peut prendre des formes très variées, matérielles pour les plus connues, mais aussi de plus en plus fréquemment, et depuis fort longtemps, dématérialisées. Avec l’essor récent des crypto-monnaies, ou crypto-actifs, elle est l’objet de tous les fanÂtasmes, comme jadis aux temps des alchimistes et des fondeurs de pièces ou, bien plus tard, de l’invention du papier-monnaie. Une autre cause de cette situation réside dans le fait que la monnaie constitue un phénomène dont l’analyse, pour être sérieuse, se doit de déborder le strict périmètre de l’économie afin de s’enrichir des résultats des recherches menées dans d’autres champs de réflexion scienÂtifique – sans projeter sur eux des concepts ou des méthodes qui ne sont pas les leurs. Cela vaut pour de nombreux autres domaines du savoir : l’archéologie, l’anthropologie, l’histoire, le droit, la sociologie, la géopoliÂtique, bien sûr également la philosophie, mais encore, parÂticulièrement depuis l’apparition et la multiplication d’innombrables monnaies numériques ou électroniques, les nouvelles technologies de l’informatique... Voilà qui suggère que la monnaie n’est pas simplement un outil neutre ou un voile transparent, comme l’affirment les économistes du courant dominant (et le laissent enÂtendre des expressions usuelles du type faire « travailler » ou « fructifier » l’argent qui oublient que seul l’être huÂmain est au labeur et que la monnaie n’a rien de naturel). La monnaie est, au contraire, une réalité sociale complexe, contradictoire – comme l’inflation reflète, à sa façon, l’inÂtensité des rapports de force et des conflits sociaux inÂternes à un pays. Ainsi, le problème qui nous occupera ici est éminemment politique, car la monnaie représente un attribut majeur du pouvoir, de souveraineté nationale. Reposant sur la confiance d’une collectivité, elle possède également une dimension psychologique, ou plutôt imagiÂnaire, en même temps qu’un caractère identitaire, repéÂrable, par exemple, dans les symboles apposés sur les billets de banque ou les pièces métalliques. Pourtant, le fait que les problématiques de la monnaie et des politiques monétaires se déploient sur un terrain difficile, paludéen et ténébreux, ne justifie pas que ces suÂjets soient abandonnés aux « élites » et à leurs « experts » qui, sous couvert de technicité, en viennent à les confisÂquer, généralement pour le seul bénéfice des gros actionÂnaires de la haute finance, et par conséquent au détriment des peuples. Ce livre n’abordera donc pas ces thèmes sous l’angle académique, mais adoptera une démarche appliÂquée, insistant sur des cas concrets et cherchant à rendre les développements aussi accessibles, illustrés et utiles que possible. Ceci ne signifie pas pour autant que, dans ce qui suit, les présupposés conceptuels seront ignorés et les soubasÂsements théoriques négligés. Au contraire, prévenons dès maintenant les lecteurs et lectrices que les arguments proposés inscrivent notre approche à contre-courant de la vague...