La famille Beck est installée à Crécy-sur-Serre, chef-lieu de canton du département de l’Aisne, depuis le mois d’avril 1912, après la nomination d’Ernest Beck comme percepteur. Le 1er septembre 1914, les Allemands envahissent le bourg. À 43 ans, Suzanne Beck s’y retrouve « prisonnière » avec ses deux garçons ; son mari et sa fille ont rejoint Paris pour des raisons de santé. Isolée des siens, elle se met à écrire, « surtout pour intéresser » son mari. Après avoir appris le décès de ce dernier, elle continue cependant à remplir ses carnets, car c’est un exercice quotidien qui la « distrait » et lui permet de supporter les épreuves qu’elle traverse.Suzanne Beck nous livre la chronique d’une occupation d’une dureté inouïe : face cachée d’une guerre qui conduira à l’anéantissement progressif d’un vaste et riche territoire réparti sur dix départements, tout ou partie occupés. Si l’hécatombe des Poilus est une histoire partagée par la Nation française, ce n’est pas le cas de cette occupation locale.Bourgeoise de religion protestante, Suzanne Beck se sent « étrangère » dans son milieu d’adoption et ses observations ont un parfum d’ethnologie. Tout l’intéresse et rien ne lui échappe ; sous son crayon, de Crécy à Bagdad en passant par Verdun, nous suivons la guerre sur tous les fronts. Mais surtout, nous découvrons, pris sur le vif pendant quatre longues années, tous les aspects de l’occupation allemande : réquisitions, perquisitions, contributions, taxes, amendes, prison, déportation, exécutions, otages, travail forcé, logement de la troupe, promiscuité, évacuations, destructions, pillages, faim, froid, maladie, bombardements Suzanne Beck évoque également la désinformation, les dénonciations et la collaboration. Aucun témoignage ne donne autant de détails sur le comportement des uns et des autres, allemands ou français. Il y a peu d’autocensure dans ces carnets du for intérieur, nullement écrits pour être publiés à l’époque. La plume peut être dure, parfois brutale, mais toujours empreinte de rigueur et d’humanisme.C’est une autre histoire de la Première Guerre mondiale que nous brosse Suzanne Beck. Mais c’est pourtant aussi la guerre, celle des occupants allemands contre des civils désarmés. Ces carnets proposent une nouvelle démystification de la Grande Guerre.
