Pour une pédagogie multilingue de la polyglossie
Aucun pays au monde, nous semble-t-il, n’a encore pensé à inscrire dans ses programmes d’éducation, l’enseignement de la polyglossie. On ne devient polyglotte, et il y en a, que par le hasard de la naissance et d’une histoire personnelle singulière parce que plurilingue.Ce privilège est d’autant plus rare que les parcours d’intégration culturelle des personnes de tous âges, des enfants à l’école, des adultes en alphabétisation ou formation, reposent sur une conception quantitative et cumulative du savoir et de l’apprentissage (Paulo Freire dit bancaire), elle-même associée à une représentation monolingue de la société idéale. Toute nation, tout collectif, est idéalement monolingue, les individus étant invités par l’Institution à enrichir leur culture personnelle d’une ou plusieurs langues étrangères, en option dans leur parcours scolaire.Ce livre raconte et témoigne d’une aventure collective dont la leçon est qu’il y aurait maints avantages à mettre au contraire au programme de tout système éducatif, dans sa définition de la culture commune à transmettre aux générations futures, la connaissance et la reconnaissance de la multiplicité des langues humaines possibles, condition pour permettre à chacun d’acquérir une certaine agilité intellectuelle et une capacité à passer d’une langue à une autre, à gérer une situation multilingue, à prêter attention à la diversité des formes et des matériaux des discours. Notre ami Mustafaa Saitque, un des auteurs de notre collectif, nous rappelle qu’avant la colonisation, le multilinguisme des sociétés africaines n’était un problème pour personne. Tout le monde parlait plusieurs langues, et toute rencontre de langues diverses savait se négocier. Tout comme l’enseignement scientifique s’efforce de former l’esprit scientifique, il s’agirait de former un esprit linguistique, sensibilisé à la matière des langues, au sens matérialiste du terme, stratège et compétent, non dans toutes les langues connues, mais dans toute langue possible. Ce qui produira en cours de route, outre une familiarité et une capacité de reconnaissance de beaucoup de langues du monde, de vraies compétences d’expression, de compréhension et d’action pour chacun dans sa, ou ses propres langues, et dans les quelques autres qu’il ou elle aura davantage travaillées. Pour beaucoup d’élèves, il s’agirait en premier lieu de reconnaître leur propre compétence de sujets parlants, voire de sujets bilingues, à l’égal de la compétence des autres.